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Pour envisager l’œuvre de Samuel Richardot, il faut penser celle-ci comme une traversée, un voyage initiatique, qui prend pour cadre des espaces picturaux où se rejoue le théâtre du monde.
Cela commence par un blanc. Surface rectangulaire où la couleur fait front. Un jeu de cache-cache s’opère sur la toile, un théâtre des opérations dispose les obliques, barrant les plus petits rectangles, vert sur rouge ou rouge sur vert. L’œil soutient difficilement la brillance des teintes, pourtant nettes, dont l’équivalence annule presque la différence à la frontière de la partition de leurs espaces respectifs. Le vibrato coloré, valeur d’ondes lumineuses que la couleur incarne, agit littéralement sur la surface blanche de la toile apprêtée. Une autre ligne, hasardeuse et floue, formée d’une multitude de points, passée sans doute à la bombe, crée un contre-point qui est une sinusoïde. Celle-ci renforce le bord cadre du rectangle dessus et dessous les deux triangles colorés. Plus qu’un flou, la trace crée une ombre arrêtée. Un arrêt sur image, le noir arrête l’image. Et ce faisant, le noir invente des horizons multiples et contrariés sur la surface plus large de la toile. Que dire du jaune latéral, lui aussi ombré par un noir flouté sur les bords ?
IRBAZ est une entrée dans cette exposition d’Int’ubagu. L’acronyme de son titre est un anagramme qui inverse deux syllabes, le début d’un mot-clef. Il n’est pas nécessaire d’en connaître la source.
D’une manière générale les titres ne sont pas des explications du travail de Samuel Richardot. D’une part parce qu’il les appose a postériori et qu’en quelque sorte ils deviennent plus une autre histoire, non simultanée, et surtout parce que l’œuvre est avant tout une convocation à l’expérience perceptive. Par homophonie, le nom évoque une ville lointaine d’un Est extrême oriental mais savoir que celle-ci réfère à une librairie non loin d’un point de passage, Checkpoint Charlie, à Berlin, éclaire sinon une histoire, un parcours, et le situe dans une géographie et un temps politique.
La librairie s’appelle Zabriskie Point, en référence au film de Michelangelo Antonioni (1970). C’est aussi le nom d’un groupe punk créé à Nantes dans les années quatre-vingt dix (1992-1999). Si l’artiste est à Berlin à la jonction du XXIe siècle , il fait partie de cette génération née avant 1989 qui voit l’ouverture des frontières européennes et la libre circulation. Jeune homme à Berlin, il peut se tenir à la jonction de la zone Est et de la zone Ouest, que symbolise le checkpoint. Aujourd’hui artefact symbolique dont les touristes prennent des photos, le poste frontière est situé en face d’un McDonald’s aux lettres jaunes.
Les lignes rouges et la bande jaune du tableau évoquent peut-être les restes d’une héraldique de cinéma, appartenant à notre mémoire collective de cette partition est-ouest du XXe siècle. Le tableau devient lui-même un point de passage. Il nous permet d’articuler les questions de zones, de territoires et d’imaginaires géographiques construits à partir d’une expérience de la nature, de la construction d’un univers pour soi, et de la projection symbolique via l’attirance pour le désert. Le Checkpoint Charlie donnait, côté Est, sur un « no man’s land » : une zone interdite, dangereuse et infranchissable. Les courbes noires pourraient être celles des barbelés. A la fin du film Zabriskie Point, un monde éclaté. Celui de la consommation et des objets. Sur fonds de musique des Pink Floyd, on voit dans le ciel bleu voler la maison moderniste construite sur les rochers, des vêtements, des fruits, légumes et paquets de pain de mie, échappés du frigo explosé.
Les restes de ce monde éclaté forment autant de lignes, de courbes et d’angles obtus qui semblent avoir atterris sur les toiles graphiques de Samuel Richardot.